Chapitre 1 : Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de justice sociale ?
1. Dans quelle mesure les inégalités s’accroissent-elles en France aujourd’hui ?
1.1 On peut identifier encore aujourd’hui un ensemble d’inégalités économiques et sociales au caractère cumulatif et multiforme
Une différence c’est une caractéristique qui permet de distinguer deux individus ou deux groupes sans que cela conduise nécessairement à une hiérarchie entre les deux par exemple, la couleur des yeux)
Une inégalité c’est une différence qui entraîne une hiérarchie, ici la différence se traduit par un désavantage (pour celui qui subit l’inégalité) dans l’accès aux ressources matérielles, politiques, symboliques, valorisées par la société. Il y a donc inégalité lorsque la répartition des ressources socialement valorisées n’est pas uniforme mais qu’il y a des groupes qui sont avantagés par rapport à d’autres.
a) Les inégalités économiques sont les inégalités de revenus et de patrimoine. Il s’agit d’une différence qui se traduit par un désavantage (pour celui qui subit l’inégalité) dans l’accès aux ressources matérielles.
Les inégalités de revenus sont les inégalités de revenus du travail et les inégalités de revenus du capital.
Les revenus du travail peuvent être des salaires ou des revenus non salariaux (par exemple, des honoraires).
En France, en moyenne, les plus hauts salaires sont environ trois plus élevés que les plus bas salaires. Cet écart n’a pas beaucoup varié depuis la fin des 30 glorieuses.
Ce qui explique ces inégalités de salaires est le niveau de diplôme, la hiérarchie du poste occupé et le rapport de force sur le marché du travail.
Les grilles de salaires varient selon les branches car elles sont liées aux conventions collectives de chaque branche.
Ces dernières années on constate un creusement des inégalités de salaires, lié au fait que les hauts salaires ont augmenté alors que les autres sont restés stables.
Les inégalités de revenus du travail sont plus grandes pour les revenus non salariaux (par exemple entre un médecin et un chauffeur Ubereats)
Aujourd’hui le creusement des inégalités de revenus peut principalement s’expliquer par le fait que les revenus du capital ont augmenté plus vite que les revenus du travail et que ce sont les ménages favorisés qui ont le plus de revenu du capital.
Le patrimoine est un stock d’actifs financiers et non financiers (tout ce que possède un ménage). Le revenu est un flux qui vient alimenter le patrimoine de la même façon qu’un héritage.
Le patrimoine est source de revenu du capital (ex : loyer d’un appartement dont on est propriétaire).
Les inégalités de patrimoine sont les plus importantes, elles sont nettement supérieures aux inégalités de revenus.
Cela s’explique par le fait que les ménages qui ont les plus hauts revenus sont ceux qui ont une propension à épargner qui est la plus élevée, ce qui vient augmenter leur patrimoine.
On peut expliquer ces fortes inégalités par deux grands facteurs :
- Le fait que le patrimoine a pour origine en partie des héritages de successions se qui tend à la reproduction des inégalités.
- Le fait que les revenus du capital aient fortement augmenté du fait notamment de l’envol des prix de l’immobilier
b) Les inégalités sociales : Ici la différence se traduit par un désavantage dans l’accès aux ressources symboliques, valorisées par la société.
Les inégalités face à la culture : Ces inégalités dans les pratiques culturelles sont déterminées d’une part par des inégalités de revenus mais aussi et surtout par des inégalités dans l’accès à la culture légitime (au sens de P. Bourdieu) qui sont produites en interaction avec les inégalités scolaires et par conséquent les inégalités dans les niveaux d’études.
Les inégalités face à la réussite scolaire :
S’agissant de la question de l’échec scolaire, on observe également en France d’importantes inégalités de situation malgré le phénomène de massification de l’enseignement.
Lorsque l’on retrace le parcours scolaires d’élèves en France , on peut voir que :
-les enfants d’ouvriers redoublent plus souvent dès l’école primaire
-ils ont plus souvent orienté vers des filières professionnelles et arrêtent plus tôt l’école
-lorsqu’ils ont un baccalauréat (ce qui est moins souvent le cas que les enfants de cadres) il s’agit plus souvent d’un baccalauréat professionnel et technologique
-lorsqu’ils font des études, il s’agit plus souvent d’études courtes et moins prestigieuses que les enfants de cadres.
Ces inégalités scolaires vont avoir un impact sur les inégalités face à l’emploi et les inégalités économiques.
Les inégalités face à l’emploi :
Nous ne sommes pas égaux face au chômage, à la précarité de l’emploi, et aux conditions de travail.
Ces inégalités sont liées à de multiples facteurs : niveaux de qualification, âge (jeunes et séniors), milieu d’origine (favorisé ou non), sexe, lieu d’habitation,…
Les inégalités face à l’emploi sont à l’origine des inégalités économiques.
Elles se sont aggravées avec la flexibilisation du travail qui conduit à une hausse de la précarité qui touche de façon inégalitaire les personnes.
Les inégalités face à la santé :
Dans ce cas-là les facteurs économiques sont en partis à l’origine des inégalités mais pas seulement.
Il existe de fortes inégalités selon les catégories de la population dans l’accès au soin d’une part, et dans le rapport à la santé d’autre part.
Malgré le système de protection sociale qui permet de couvrir le financement du risque maladie, les études sur cette question montrent que, selon les PCS, le rapport que les individus entretiennent avec leur corps diffère considérablement : les questions de santé (notamment en matière préventive) apparaissent comme secondaires lorsque les dimensions matérielles de la vie sociale ne sont pas garanties (ce qui est le cas pour les catégories populaires).
On assiste par conséquent à un processus cumulatif entre précarité dans le monde du travail et fragilité en matière de santé.
⇨ Ce phénomène a un impact direct sur l’espérance de vie des individus (celle des cadres est nettement supérieure à celle des ouvriers) : l’inégalité dans le rapport à la santé se traduit directement par un phénomène d’inégalité face à la mort.
⇨ La politique mise en place en France à partir de 1998 visant à garantir un accès aux soins minimal pour les catégories les plus défavorisées de la population qui échappe au « filet » de la Sécurité sociale (Couverture Maladie Universelle) est un exemple de politique de redistribution s’inscrivant dans une conception corrective de la justice sociale.
On peut également mettre en avant des inégalités de soins médicaux liés aux inégalités géographiques. Les régions les plus riches et les plus attractives ont des meilleurs systèmes de santé.
Les inégalités homme/femme
Dans les sociétés démocratiques l’égalité de droits entre hommes et femmes est reconnue mais cela n’empêche pas l’existence d’inégalités dans les faits.
Dans la sphère privée, même si les choses évoluent, les études sur la répartition des tâches ménagères montrent que ce sont les femmes qui passent le plus de temps pour ces tâches domestiques. Cela renforce la surcharge de travail pour les femmes et diminue ainsi d’autant le temps professionnel.
Dans la sphère économique : à diplôme égal et poste équivalent une femme gagne en moyenne 30% de moins qu’un homme. Les femmes sont très peu présentes dans les postes à hautes responsabilités (postes de direction). Elles travaillent le plus souvent dans le tertiaire où les salaires sont moins élevés. Ces deux inégalités sont fortement liées aux inégalités dans le système scolaire : l’orientation est fortement influencée ; les filles font des études moins prestigieuses alors qu’elles réussissent mieux dans le secondaire et les filières choisies conduisent à des emplois spécifiquement féminins, généralement moins bien rémunérés. Les femmes sont aussi plus touchées par le chômage et la précarité (temps partiel subi notamment). Elles ont des carrières plus discontinues ce qui a un impact négatif sur leurs futures retraites.
Dans la sphère politique, malgré la loi sur la parité, les femmes sont moins présentes sur les listes électorales et dans les instances représentatives et elles accèdent plus difficilement aux hautes responsabilités politiques.
c) les inégalités ont un caractère cumulatif
Les inégalités sont souvent interdépendantes (mais pas toujours) ce qui nous permet de mettre en évidence un processus cumulatif des inégalités : Les inégalités économiques se cumulent entre elles, les inégalités sociales se cumulent entre elles, les inégalités économiques entraînent des inégalités sociales et vice-versa.
Ce caractère cumulatif des inégalités se retrouvent à deux niveaux :
Tout d’abord, il y a un processus cumulatif d’une génération sur l’autre car il y a souvent reproduction des inégalités d’une génération sur l’autre. (par exemple, il existe une corrélation entre le revenu des parents et le revenu des enfants )
Mais aussi, il y a un processus cumulatif des inégalités sur une même génération : les catégories défavorisées dans un domaine le sont le plus souvent aussi dans les autres domaines.
Ex : Les inégalités de salaires se cumulent avec des inégalités de revenu : ce sont les hauts salaires qui ont généralement le plus d’autres sources de revenu en particulier les revenus du patrimoine.
Il y a aussi interdépendance entre inégalités de revenu et inégalités de patrimoine : les premières engendrant les secondes (du fait de la plus ou moins grande capacité d’épargne) et inversement le fait d’avoir un fort patrimoine permet de bénéficier de forts revenus du patrimoine ce qui accentue les inégalités de départ.
De la même façon les inégalités en terme de conditions de travail entraînent des inégalités face à la maladie et à la mort. Là encore les conditions de travail les plus difficiles sont souvent dans des professions où les salaires ne sont pas élevés.
Les inégalités face au logement entraînent des inégalités face à la santé et à l’école…
=>Les inégalités forment donc un système : elles s’engendrent les unes les autres et elles forment un processus cumulatif qui entraîne le fait que les privilèges se regroupent à l’une des extrémités de l’échelle sociale tandis qu’à l’autre extrémité il y a une multiplication des handicaps. De plus on voit qu’il y a reproduction des inégalités entre les générations. Ce cumul des handicaps peut conduire à l’exclusion sociale.
1.2 L’interprétation des inégalités dépend des outils de mesure utilisés
-Pour mesurer les inégalités de revenus, on peut calculer un rapport interdécile
D9/D1 , on peut prendre comme valeur du décile
-soit le revenu maximum (D1 représente alors le revenu maximum des 10% les plus pauvres et D9 le revenu maximum des 90% les plus pauvres ou le revenu minimum des 10% les plus riches)
Dans ce cas il s’agit de l’écart entre le revenu maximum des 10% les plus pauvres et le revenu minimum des 10% les plus riches
-soit le revenu moyen du décile. Du coup, le revenu moyen du D10 est plus élevé et l’écart D10/D1 va être plus important.
On peut aussi calculer des écarts sur des % plus petits, comme des P90/P10, ou le TOP 1%= part des 1% des ménages les plus favorisés
ou sur des regroupements plus grands (écarts interquartiles 25% et interquintiles20%).
=>Plus les regroupements sont petits, plus on s’intéresse aux extrémités de l’échelle (des revenus ou des patrimoines), plus les inégalités sont grandes.
->Pour avoir une image plus générale des inégalités de revenus ou de patrimoine, sur l’ensemble de la population, on peut tracer une courbe de Lorenz avec en abscisses les % des effectifs cumulés et en ordonnées, les % cumulés croissants du revenu ou du patrimoine total.
Plus la courbe s’écarte de la droite d’équi-répartition, plus la répartition est inégalitaire.
La courbe de Lorenz permet de mesurer les inégalités de revenus ou de patrimoine à un instant donné. La courbe de Lorenz des patrimoines étant plus éloignée de la droite d’équi-répartition que celle des niveaux de vie, on peut affirmer que la distribution du patrimoine est plus inégalitaire que celle des revenus (niveaux de vie).
->Si on veut regarder l’évolution des inégalités dans la population, on peut mettre cette représentation graphique sous forme d’un coefficient, qu’on appelle le coefficient de Gini (mesure la surface entre la courbe et la bissectrice) : plus le coefficient de Gini est proche de 1 ou de 100, plus la répartition est inégalitaire.
2.Dans quelle mesure certaines inégalités sont-elles acceptables aujourd’hui dans les sociétés démocratiques ?
Il existe une inégalité s’il est possible d’établir l’existence d’un avantage ou d’un désavantage significatif associé à une ou plusieurs différences dans l’accès aux biens matériels et symboliques valorisés par la société. Constater et expliquer ces inégalités (approche positive) doit être distingué du jugement de valeur qu’on pourrait porter sur elles (approche normative). La possibilité d’un tel jugement suppose de définir des critères permettant de dire ce qui doit être égal ou pas (quelle(s) égalité(s) ?) et, une fois certaines formes d’inégalités éventuellement admises, il faut encore définir leur légitimité. Ces critères sont ceux étudiés par la théorie de la justice sociale
Plusieurs principes de justice peuvent être mobilisés à chaque fois que, dans une démocratie, les pouvoirs publics tentent de corriger les inégalités économiques et sociales…La justice sociale est donc une construction morale
Egalité= donner la même chose à tout le monde
Equité= donner plus à ceux qui ont moins
2.1 Les différentes formes d’égalité permettent de définir les différentes conceptions de la justice sociale
a) les différentes formes d’égalité
Les sociétés démocratiques se caractérisent par la recherche de l'égalité c.-à-d. elle consiste à traiter les individus de manière identique. Par exemple : dans le domaine politique, l'égalité se réalise par le principe "un homme = une voix". Pour Alexis de Tocqueville, la démocratie ne correspond pas seulement à un régime politique mais aussi à un "état social".
-L’égalité des droits est le principe selon lequel tous les individus sont égaux devant la loi, celle-ci étant la même pour tous. Ils bénéficient des mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs. L’égalité des droits est largement reconnue dans les sociétés démocratiques.
L’égalité des droits s’est construite progressivement au cours de l’histoire (par ex égalité hommes-femmes) et n’est jamais totalement acquise (ex droit des prisonniers).
-L’égalité des chances est le principe selon lequel la situation sociale acquise par les individus est indépendante de la situation sociale héritée. Cette absence d'hérédité sociale permet à tout individu quel que soit son sexe, ses origines sociales ou ethniques d'avoir les mêmes probabilités d'accéder à diverses positions sociales. L’égalité des chances est un idéal démocratique. Elle se base sur un principe méritocratique : principe de répartition des positions et des ressources, qui consiste à rétribuer les individus en fonction de leur travail et de leurs efforts. Pour être effective, la méritocratie suppose que l'égalité des chances soit réalisée.
Dans un système méritocratique, les inégalités sont justifiées si tout le monde est persuadé que l'égalité des chances est réellement mise en place par des dispositifs spécifiques : bourses sur critères sociaux, ZEP, etc. Donc l'égalité des chances consiste principalement à favoriser les populations qui font l'objet de discrimination afin de leur garantir une équité de traitement. Elle implique que les écarts du milieu d'origine soient neutralisés, donc de compenser les inégalités initiales. (Équité : donner plus à ceux qui ont moins)
-L’égalité des situations se définit par une répartition uniforme des ressources valorisées (revenu, patrimoine, etc.) entre les membres d’une société. Une plus grande égalité des situations suppose de resserrer la structure des positions sociales par la réduction des inégalités associées à ces positions, qu’il s’agisse d’inégalités de revenu, de conditions de vie, d’accès aux services, de sécurité, etc.. L'égalité des situations suppose donc la suppression de toute forme d'inégalités. Il existe deux positions idéologiques face à l’égalité des situations, soit de rechercher la réduction des inégalités de situations, en acceptant qu’ils subsistent des inégalités légitimes, soit de prôner l’égalité totale des situations (comme dans le communisme)
b) Les différentes conceptions de la justice sociale
La justice sociale peut être définie comme l’ensemble des principes qui définissent la répartition des ressources entre les membres d’une société.
-Pour l’utilitarisme, la société juste est celle dans laquelle la somme des utilités (ou bien-être) de chacun de ceux qui la constituent est la plus élevée possible.
Parmi les utilitaristes, on peut citer Bentham, John Stuart Mill, mais aussi Smith et plus tard les économistes néoclassiques comme Pareto et de l’école du bien-être comme Pigou ou Musgrave.
L’optimum est atteint lorsqu’il est impossible d’ajouter une satisfaction à un individu sans réduire la satisfaction d’un autre individu.
Dans ce cadre, la justice sociale est indépendante du degré d’inégalité et la réduction de la pauvreté n’est un objectif que lorsqu’elle permet d’augmenter la satisfaction globale. Pour l’utilitarisme, une action, une politique… doit être jugée sur la base des conséquences qu’elle entraîne.
Utilitarisme : Conception de la justice sociale qui consiste à maximiser le bonheur total de ses membres et qui suppose de mesurer le bonheur individu et collectif appelé utilité
-Le libertarisme est une approche de la justice hérité de Locke (1690), puis du courant économique «autrichien».
Bien qu’on puisse – comme l’a fait Hayek (1976) – récuser l’idée de justice sociale au seul bénéfice des intérêts privés, l’attachement du libertarisme au droit naturel et à la dignité des individus n’interdit pas de raisonner en termes de justice, dès lors qu’on assimile celle-ci à l’idée de liberté.
Pour le libertarisme, une société juste est une société qui respecte les libertés individuelles et les droits de propriété. Le seul rôle de l’État est de garantir cette liberté et les droits de propriété.
Libertarisme : Conception de la justice sociale qui consiste à défendre l’égalité des droits et les libertés individuelles
-L’égalitarisme libéral s’incarne dans la figure et l’œuvre du philosophe John Rawls (1971). Selon lui, la justice est « la première vertu des institutions sociales »
Pour l’égalitarisme libéral, une société juste est une société dans laquelle les biens premiers sociaux sont répartis de manière équitable entre ses membres, compte tenu du fait que ceux-ci sont inégalement dotés en biens premiers naturels.
Rawls distingue trois types de biens premiers sociaux :
- les libertés fondamentales (libertés politiques, liberté de pensée et d’expression, liberté de la personne et propriété de soi) ;
-l’accès aux diverses positions sociales ;
- et les avantages socio-économiques attachés à ces positions
L’attribution équitable des biens premiers sociaux impose le respect de trois principes essentiels et hiérarchisés : l’égale liberté (les libertés fondamentales sont garanties à chaque individu au niveau le plus élevé possible compatible avec les mêmes libertés pour tous) ; l’ égalité équitable des chances (à talent donné, les individus doivent disposer d’une égale possibilité d’accès aux fonctions et positions sociales désirées) ; et le principe de différence (les avantages socio-économiques attachés aux positions sociales doivent être distribués en vue de procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus défavorisés de la société).
Egalitarisme libéral : conception de la justice sociale qui privilégie l’égalité réelle des chances en tenant compte des avantages et des handicaps des individus au départ de la « course » sociale
Les trois approches précédentes sont tolérantes – par principe – à l’égard de certaines inégalités économiques.
-Ce n’est pas le cas de l’égalitarisme strict. Dans cette conception, une société juste est une société dans laquelle les individus sont égaux.
La réduction des inégalités doit donc être l’objectif de justice principal. Cette conception renvoie donc, par certains égards, à la pensée marxiste. Pour Marx, une société « juste » serait en effet une société dans laquelle l’exploitation serait abolie et dans laquelle chacun pourrait puiser dans la richesse commune en fonction de ses besoins.
Egalitarisme strict (marxisme) : conception de la justice sociale qui consiste à remettre en cause le capitalisme au profit d’une société garantissant l’égalité réelle entre les individus et non une égalité de droits ou des chances qui ne corrigent pas les inégalités de situation
2.2 Ainsi, certaines inégalités peuvent être légitimes et d’autres non
Les quatre conceptions de la justice sociale sont favorables à l’égalité des droits.
Dans une approche libertarienne, une égale protection des seuls droits de propriété est légitime dans la mesure où, si elle est obtenue sans contrainte, elle garantit la plus grande liberté de tous. Pour le libertarisme, dans une société où les positions sont inégales, il est légitime de souhaiter que la distribution de ces positions ne se fasse pas de façon arbitraire mais sur la seule base des mérites individuels. L’égalité des chances est alors garantie par la liberté individuelle.
Pour l’utilitarisme, l’égalité des droits – comme toute forme d’égalité – se justifie tant qu’elle a pour conséquence de maximiser le bien-être collectif. Dans une optique utilitariste, l’objectif d’égalité des chances peut aussi être fondé sur la recherche d’une forme d’efficacité : en réservant les positions dominantes à des individus issus de certaines familles seulement, la société se priverait des talents des enfants de milieux moins favorisés.
Pour le courant de l’égalitarisme libéral, l’égalité des droits fait partie des biens premiers sociaux : elle se confond, en effet, avec la reconnaissance des libertés fondamentales. L’égalitarisme libéral de Rawls est le principe de justice qui inspire le plus directement cette forme d’égalité en vertu du second principe sur lequel il repose, à savoir l’égalité équitable des chances. Du point de vue de l’égalitarisme libéral, l’égalité des situations n’est pas un objectif, mais il faut améliorer le sort des plus défavorisés
Pour l’égalitarisme strict, les droits, quels qu’ils soient, sont inhérents à la personne humaine et leur respect est un impératif catégorique. L’affirmation de l’égalité des droits n’implique pas sa réalisation effective. L’égalité des chances est garantie par l’égalité des situations.
Si, pour les libertariens, il ne faut pas chercher à réduire les inégalités de situation, dans une optique utilitariste, réduire ces inégalités ne saurait se justifier que par les conséquences positives induites sur le bien-être collectif ; une redistribution qui permettrait d’augmenter l’utilité totale est donc préconisée. L’égalité des situations est l’objectif principal de l’égalitarisme strict.
3. Dans quelle mesure l’action des pouvoirs publics pour favoriser la justice sociale est-elle efficace ?
3.1 Les pouvoirs publics disposent de différents moyens d’action
a) la fiscalité
Définition: ensemble des impôts et des taxes perçus par les pouvoirs publics
L’impôt forfaitaire: il est identique dans tous les cas et pour tout le monde ex: redevance TV
L’impôt proportionnel : le taux est identique pour tout le monde mais il augmente avec le montant des dépenses ex: la TVA
L’impôt progressif: il varie en fonction des revenus ex: l’impôt sur le revenu.
Les impôts participent à la justice sociale car ils participent à la redistribution des revenus : ils sont des prélèvements obligatoires en particulier lorsqu’ils sont progressifs ou proportionnels aux revenus et car ils sont utilisés pour financer les services collectifs.
b) la protection sociale
Protection sociale : Mécanismes de prévoyance collective, permettant aux individus de faire face aux risques sociaux.
En France , la protection sociale s’appuie sur une vision de l’Etat Providence = Notion qui s’oppose à la notion d’Etat Gendarme (Etat se limitant à assurer les fonctions régaliennes traditionnelles, armée, justice, police, diplomatie et qui s’abstient d’intervenir dans l’économie).
Un Etat providence est un Etat interventionniste et plus particulièrement un Etat qui finance des dépenses sociales permettant de limiter l’impact d’un risque social. L’Etat Providence est donc un Etat qui finance une protection sociale pour protéger les individus contre les risques sociaux.
La protection sociale peut fonctionner selon trois logiques :
- Assurance sociale :
les prestations sociales sont financées par les cotisations sociales et donc réservées à ceux qui ont cotisés.
Chaque actif cotise proportionnellement à son revenu et il reçoit des prestations proportionnelles à ses cotisations. Ici, il n'y a donc pas a priori de volonté de réduire les inégalités mais seulement d’assurer un bien-être. Le versement des prestations est"sous condition de cotisation", c'est-à -dire qu'il faut avoir cotisé pour en bénéficier.
- Assistance :
les prestations sociales assurent un revenu minimum et sont donc versés sous conditions de ressources et financées par l’impôt. L’objectif est de lutter contre la pauvreté.
Il s’agit au départ (1942) d’un système «universel» : Tous les citoyens sont couverts s’ils en ont besoin quelle que soit leur situation professionnelle (c'est le principe d'universalité) ...mais ces prestations sont minimales .C’est l’impôt qui soutient le système.. Ce système repose sur la volonté d’éviter la pauvreté.
- Protection universelle :
Les prestations sociales couvrent certaines catégories de dépenses pour tous les individus. Les prestations sont les mêmes pour tous et accordées sans conditions, elles sont financées par l’impôt.
En France, le système mis en place combine les deux logiques, assurance et assistance
- logique d’assistance : par exemple, grâce à la C.M.U.(Couverture Maladie Universelle), des personnes qui ne cotisent pas peuvent bénéficier d'une couverture sociale en cas de maladie. Le RSA ou Revenu de Solidarité Active
- logique d’assurance : principe selon lequel un individu est couvert contre certains risques sociaux grâce à un mécanisme de prestations dès lors qu’’il participe au financement de la couverture par un mécanisme de cotisations, en particulier pour la retraite et le chômage.
Les systèmes de protection sociale assurent une forme de redistribution horizontale entre malades et bien portants par exemple et une forme de redistribution verticale des catégories favorisées vers les catégories qui le sont moins.
La redistribution des revenus consiste à :
- prélever sur tous les revenus des prélèvements obligatoires=impôts, taxes et cotisations sociales perçus par les administrations publiques (ce qu’on appelle la fiscalité) Les prélèvements obligatoires servent aussi à financer les services collectifs.
-reverser des prestations sociales=ensemble des revenus versés par les administrations publiques pour financer un risque social
Risque social= Evènement plus ou moins prévisible entraînant une perte de revenu ou une augmentation des dépenses dont la protection est organisée par les pouvoirs publics.
Les prestations sociales (ou transferts sociaux) sont des transferts versés (en espèces ou en nature) à des individus ou à des familles afin de réduire la charge financière que représente la protection contre divers risques sociaux.
Elles sont associées à six grandes catégories de risques :
- La vieillesse et la survie (pensions de retraite, pensions de réversion, prise en charge de la dépendance).
- La santé (prise en charge totale ou partielle de frais liés à la maladie, à l'invalidité, aux accidents du travail et aux maladies professionnelles).
- La maternité-famille (prestations familiales : prestations liées à la maternité, allocations familiales, aides pour la garde d'enfants).
- La perte d'emploi (indemnisation du chômage) et les difficultés d'insertion ou de réinsertion professionnelle.
- Les difficultés de logement (aides au logement).
- La pauvreté et l'exclusion sociale (minima sociaux : revenu minimum d'insertion - RSA, minimum vieillesse, etc.).
c) les services collectifs
Services collectifs : productions non marchandes du secteur public financées par les prélèvements obligatoires.
Les services collectifs sont financés par les impôts ou les taxes locales, et visent à réduire les inégalités de situation. Les ménages qui ont des revenus primaires faibles contribuent peu ou pas au financement de ces services financés par l’impôt, mais ils en bénéficient dans des proportions aussi importantes que les ménages qui paient des impôts. Ces services publics visent à réduire les inégalités de situation. C’est le cas de l’éducation, des équipements publics gratuits (ex squares, aires de jeux, médiathèques, piscine...) des postes, commissariats...
=>Un service collectif financé par l’impôt peut avoir des effets redistributifs sur les revenus des ménages et donc réduire les inégalités de situation. C’est ce qui se produit quand les ménages qui ont des revenus primaires faibles et contribuent donc peu ou pas au financement du service collectif, en bénéficient dans des proportions au moins aussi importantes que les autres ménages. Cette forme de consommation collective vient augmenter les sommes disponibles pour d’autres usages. Quand ce service collectif permet d’assurer l’égalité d’accès aux moyens de réussir, il assure en même temps une forme d’égalité des chances et contribue à l’égalité des situations.
d) la lutte contre les discriminations
La lutte contre les discriminations est aussi un instrument dont disposent les pouvoirs publics pour contribuer à la justice sociale.
Discrimination : différence de traitement en raison d’un critère prohibé par la loi
La lutte contre les discriminations passe d’abord par la loi et la réglementation :en renforçant l’égalité de droit, le respect de la loi : par ex, loi sur l’égalité professionnelle et salariale, lois contre la discrimination, le racisme, l’homophobie,…
Elle peut aussi passer par la discrimination positive qui se définit comme un dispositif mis en œuvre par les pouvoirs publics ou une institution adoptant des mesures spécifiques et avantageuses (d’où le terme de positif), afin de réduire l’inégalité des situations. Par exemple, les lois sur l’obligation d’emploi de travailleurs handicapés ou la loi sur la parité hommes-femmes en politique. Il s’agit la plupart du temps de quotas imposés.
Certains considèrent qu’il s’agit d’une entorse à l’égalité de traitement.
3.2 Les actions des pouvoirs publics s’exercent sous contrainte et ne sont pas toujours efficaces
Le ralentissement de la croissance limite les moyens financiers de l'Etat et l'oblige à se poser la question de l'efficacité, du point de vue de l'idéal égalitaire, des mesures qu'il met en œuvre. De plus, l’UE impose un certain nombre de contraintes aux Etats concernant les services publics et le niveau du déficit public.
-L’action des pouvoirs publics s’exerce sous contrainte de financement
Les recettes diminuent car il n’y a pas assez de cotisations à cause du chômage, de la précarité du travail, du faible taux d’activité, de la faiblesse de l’augmentation des salaires, des baisses et exonérations répétées des “charges sociales” pour les entreprises...
Les dépenses augmentent à cause du vieillissement de la population et de l’allongement de l’espérance de vie, ce qui fait augmenter le poids des retraites mais aussi des dépenses de santé (renchéries aussi par le progrès technique). La hausse des dépenses s’explique aussi par l’augmentation du chômage et de la précarité.
Or, l’action publique s’exerce sous contrainte de financement. Les dépenses des pouvoirs publics, qu’elles soient économiques ou sociales doivent être financées. Si elles sont financées par une augmentation de l’impôt, elles réduisent la demande et l’épargne des agents économiques. Elles peuvent aussi être financées par l’emprunt, mais dans ce cas elles risquent d’accroître la dette publique, celle-ci a un niveau limité par l’UE. Ainsi, la dette de l’État (y compris celle des organismes divers d’administration centrale) s’élevait, en 2018, à 81% du PIB courant. Au sens de Maastricht, c’est-à-dire en prenant en considération l’ensemble des administrations publiques, le taux d’endettement public représentait 98,4% du PIB courant (suite à la crise du coronavirus, ce taux a fortement augmenté).
De plus, l’emprunt public, c’est-à-dire l’accroissement de la demande de capitaux par l’État, en drainant l’épargne disponible et en provoquant la hausse des taux d’intérêt (loi de l’offre et de la demande sur le marché des fonds prêtables), risque d’évincer les entreprises du marché des capitaux (effet d’éviction sur l’investissement privé).
- L’action des pouvoirs publics est critiquée pour son manque d’efficacité
Même si la comparaison des courbes de Lorenz avant et après redistribution (ou des rapports inter quantiles) montre une nette réduction des inégalités, celles-ci existent toujours et il a fallu la création de minimas sociaux pour éviter que des individus exclus du marché du travail tombent dans la pauvreté.
La couverture des risques par la protection sociale n’a pas toujours un effet de réduction des inégalités ; ainsi les dépenses de soins sont plus élevées chez les plus riches et les pensions de retraite sont fonction du niveau des revenus d’activité.
Enfin, pour les libéraux, l’existence de minimas sociaux, voire de protection sociale, entraîne le risque que les individus se maintiennent dans une « trappe à pauvreté » ou à « inactivité » : les plus défavorisés pourraient penser qu’ils n’ont pas d’intérêt à retravailler dans la mesure où ils considèrent le gain de revenu net occasionné par la reprise d’un emploi comme insuffisant. On parle aussi de trappe à pauvreté lorsque des personnes pauvres – souvent inactives – n’ont pas d’intérêt à rechercher du travail dans la mesure où elles profitent d’aides diverses. Cette critique des minima sociaux explique le passage du RMI au RSA qui apporte un complément de revenus (la prime d’activité) même dans le cas de reprise d’activité.
- L’action des pouvoirs publics est remise en cause sur sa légitimité
Pour les libéraux, seul le libre fonctionnement du marché est censé aboutir à un optimum au sens de Pareto, c'est-à-dire à un point où il est impossible de modifier la répartition des ressources pour améliorer le sort des uns sans détériorer celui des autres.
Les mesures adoptées par les pouvoirs publics pourraient ainsi modifier les comportements des agents économiques et entraîner des effets non recherchés : les risques de désincitation : les impôts peuvent être démotivants pour les individus =moindre incitation à travailler si les revenus du travail sont taxés, à épargner si on taxe l’épargne, à accumuler si on taxe le patrimoine ou les héritages, à consommer si on taxe certaines consommations, à investir…
Ainsi la courbe popularisée par Laffer à la fin des années 1970 montre que « trop d’impôt tue l’impôt »: un taux de prélèvements obligatoires trop important dissuaderait les entreprises de produire et les individus de travailler. Si le taux d’imposition est nul, les recettes sont nulles, même chose si le taux d’imposition est de 100 %. On peut y lire le taux d’imposition optimal, celui qui permet de maximiser les recettes fiscales.
La protection sociale pourrait entraîner une baisse de la compétitivité de l’économie, en particulier parce qu’elle augmente le coût du travail par les cotisations sociales.
Ainsi, pour les libéraux, les inégalités peuvent être un facteur de bien fait pour l’économie :
Les inégalités de revenu encouragent le travail en récompensant l'effort individuel. Par exemple, des revenus élevés incitent les individus à accroître leur niveau de formation
Les inégalités sont nécessaires pour favoriser l'épargne et l'investissement. On sait que la propension à épargner est plus élevée pour les détenteurs de revenus élevés. Or l'épargne est la base de l'investissement. Donc la capacité d'épargne, et donc de financement des investissements, est plus élevée quand l'inégalité des revenus est forte que dans le cas contraire.
Enfin, les inégalités permettent de récompenser ceux qui innovent et donc de stimuler le progrès technique.
=> Les inégalités donnent des informations indispensables aux acteurs économiques, en même temps qu'elles leur donnent des guides de comportement. Le libre jeu du marché, grâce aux inégalités qui en résultent, permettrait donc une allocation optimale des ressources.