Chapitre 4 : Comment expliquer l'engagement politique dans les sociétés démocratiques ?

 

1. L’engagement politique peut prendre des formes variées

Engagement politique = ensemble des formes d’activités que les individus peuvent réaliser pour exercer une influence sur les décisions des pouvoirs publics.

- L’engagement politique peut être individuel.

 (ex : aller voter).

-L’engagement politique peut aussi se faire dans le cadre d’actions collectives  

= ensemble des formes d’actions organisées en concertation par un ensemble d’individus pour défendre une cause ou un intérêt commun.

(ex : manifestations).

Une activité peut être considérée comme un engagement politique à partir du moment où l’objectif est d’influencer les décisions collectives prises par les pouvoirs publics.

1.1 Le vote

Le vote est une forme singulière d’engagement politique : c’est un rituel social, qui donne une forme concrète à la démocratie (si les règles du vote libre et universel sont respectées) et qui est l’occasion d’une exposition et d’une confrontation des idées politiques

Le vote est un droit démocratique important ; c’est aussi un devoir car choisir ses représentants c’est reconnaitre la légitimité de la démocratie représentative.

Voter est un acte individuel, exprimant une opinion personnelle protégée des influences extérieures par le secret de l’isoloir C’est aussi un acte contextuel, tenant beaucoup des effets de la situation politique et électorale du moment, du déroulement de la campagne et du positionnement de la majorité des électeurs sur les choix de société.

1.2Les autres formes de l’engagement politique

-l’engagement associatif : participation aux activités d’une association. Par exemple, faire un don à une association de défense des droits des femmes

Attention cependant, l’engagement associatif n’est pas forcément politique. Il ne l’est que si les activités de l’association sont politiques, c’est-à-dire visent à influencer les décisions collectives

-le militantisme : Engagement actif pour une cause dans le cadre d’un parti, d’un syndicat, d’une association. Par exemple, Tracter pour un parti politique. Participer à l’organisation d’une marche pour le climat. Occuper une usine. La distinction entre engagement associatif et militantisme repose sur le degré d’implication dans les activités de l’organisation. De plus le militantisme est forcément un engagement politique ce qui n’est pas le cas de l’engagement associatif.

-la consommation engagée : Décisions de consommation guidées par des principes politiques et non sur l’intérêt individuel. Par exemple, Ne pas consommer de produits issus de l’exploitation des animaux ou boycotter des marques ou des produits, ou consommer bio ou équitable. Un choix de consommation est dit « engagé » qu’à condition que le choix repose sur des critères politiques, qui visent à défendre une cause.

1.3 Les différents acteurs de l’engagement politique

  • Partis politiques : organisation qui regroupe des personnes partageant une même vision de la société et qui s’engage dans la compétition politique en vue d’exercer le pouvoir politique. Ex : LREM – RN – LR – EELV – FI 
  • Association : Groupement de personnes volontaires réunies autour d’un projet commun ou des activités communes. Une association n’a pas pour objectif de réaliser des bénéfices (contrairement à une entreprise). L214 – WWF- Association de prévention routière – MDL – Association sportive.
  • Syndicat : Association dont l’objectif est la défense des intérêts professionnels (des travailleurs pour les syndicats salariés / des employeurs pour les syndicats patronaux). Ex : CGT – CFDT (syndicats salariés) / MEDEF (syndicat patronal)
  • Groupements/Collectifs : regroupement de personnes non structuré dans une organisation institutionnelle. Ex : gilets jaunes – « Youth for climate » - « #Nous toutes »

Conclusion

Le vote est une forme d’engagement politique ritualisée qui occupe une place centrale dans les démocraties mais les citoyens peuvent participer au pouvoir politique de multiples façons. 

Individuellement, les citoyens peuvent également militer dans un parti, un syndicat ou une association par un investissement actif et poussé à leurs actions, ou simplement par un engagement associatif moins poussé ou encore au travers de leurs choix de consommations (consommation engagée).

Les citoyens peuvent aussi s’engager de façon concertée et groupée dans le cadre d’actions collectives. Pour cela, ils puisent dans les répertoires de l’action politique à leur disposition et mènent différents types d’actions.

2.Les transformations de l’action collective

Rappel : il ne faut pas confondre engagement politique et actions collectives (l’engagement politique peut être un acte individuel). 

Les formes d’action collective ont été longtemps centrées sur l’engagement politique et syndical. 

Les acteurs principaux en étaient les ouvriers menés par les partis politiques et les syndicats. 

Les revendications portaient surtout sur l’amélioration des conditions de vie et des conditions de travail. 

À la fin du xixe siècle, la lutte du mouvement ouvrier commence à porter ses fruits. Les salaires progressent, le niveau de vie s'améliore.

 Des lois sont adoptées pour limiter le travail des enfants. En France, la loi de 1841 avait déjà interdit le travail des enfants de moins de huit ans. Vers 1900, la journée de travail des adultes est réduite à 10 heures dans l'ensemble des pays industriels.

Aujourd’hui, il y a encore des mouvements sociaux portés par les travailleurs et leurs syndicats. Par exemple, les grèves contre la réforme des retraites.

Mais l’amélioration des conditions de vie et des conditions de travail et la disparition de la classe ouvrière viennent changer les formes de l’engagement politique.

2.1 de nouveaux acteurs

 Ce qui est nouveau est que :

-ces nouveaux acteurs se réunissent sur une base commune pour lutter pour des intérêts collectifs, mais ce qui les rassemble n’est donc pas une appartenance de classe, mais une cause commune. (Environnement, droit des femmes,…)

ces nouveaux acteurs se réunissent plutôt sur des structures éphémères, qui ne se forment que pour un moment particulier de lutte collective et qui ne sont pas dépendant des structures syndicales traditionnelles : plutôt des « collectifs », des « regroupements » ou des associations.

  • ces nouveaux acteurs font souvent appel à des personnalités célèbres qui font office de catalyseur (ex Coluche pour les Restos du cœur, puis les enfoirés, …)
  •  

2.2 De nouveaux enjeux

  • L’engagement politique ne concerne plus majoritairement la sphère du travail, de la production et de l’économie ; mais porte plus souvent  sur des grandes valeurs.
  • En effet, l’élévation du niveau de vie conduirait les nouvelles générations à un moins grand attachement aux valeurs matérialistes et les revendications seraient alors plus qualitatives, plus globales, plus symboliques :

Défense des Noirs (US) mouvement pacifiste, écologiste, féministe, défense des consommateurs (consumérisme) défense des minorités (Beurs, homo…) défense des droits fondamentaux (DAL, sans-papiers,…)

2.3 De nouveaux répertoires de l’action collective

Les individus et les groupes sociaux peuvent désormais choisir leur forme d’action dans un répertoire plus diversifié d’actions collectives possibles.

La particularité des nouvelles formes d’engagement politique est la méfiance par rapport aux organisations traditionnelles. Ils essaient de proposer de nouvelles formes d’organisation, en favorisant la structure décentralisée en réseau et en construisant un espace d’autonomie avec plus de place aux initiatives locales et individuelles.

-Internet devient un outil central dans la coordination des actions, dans la mise en commun, mais aussi comme source et moyen d’information et de diffusion de l’idéologie.

L’objectif est aussi avant tout d’occuper l’espace public en utilisant les médias comme véritable contre-pouvoir , pour faire pression sur l’opinion publique et sur les pouvoirs politiques et pour rechercher une certaine légitimité.

-Les formes d’action collective privilégiées sont alors souvent plus protestataires (voir violentes), plus médiatiques et utilisent plus  souvent Internet (pétition) : boycott de certains produits, occupation de locaux, destruction matérielle….

 

3. Pourquoi les individus s’engagent ils ?

Le paradoxe de l’action collective montre que, même si les individus soutiennent des actions collectives, ils n’ont pas forcément un intérêt individuel à se mobiliser.

Par exemple, une partie des individus qui soutiennent le mouvement des gilets jaunes ne sont pas prêts pour autant à supporter les coûts (matériels, financiers et autres) d’une telle mobilisation.

En effet, l’engagement politique a un coût:

-le temps consacré à la mobilisation

-le renoncement au salaire d’une journée de grève

-le risque d’aller en prison

Etc…

Or, les résultats d’une mobilisation collective, dans la majorité des cas, profite à tous les individus, mobilisés ou non.

Par exemple, si les syndicats obtiennent une hausse des salaires ou dans le cas des Gilets jaunes, la suppression de la taxe carbone

Le paradoxe de l’action collective nous montre que la présence d’intérêts communs ne suffit pas aux individus pour qu’ils se mobilisent collectivement pour les défendre.

On peut donc se demander quelles sont les raisons qui expliquent que, malgré le paradoxe de l’action collective, des individus se mobilisent dans le cadre d’actions collectives

3.1 Les incitations sélectives

l peut y avoir une incitation individuelle à l’engagement politique:

-par exemple, en se syndiquant un travailleur bénéficie d’une aide juridique

-ou s’il ne participe pas à une grève un travailleur peut être mis à l’écart du groupe

Les incitations sélectives peuvent être symboliques ou matérielles. Elles peuvent être positives (récompenses) ou négatives (sanctions).

3.2 Les rétributions symboliques

Il peut y avoir une forme de récompense symbolique, non matérielle, retirée de la mobilisation:

-une visibilité médiatique

-un rôle social gratifiant

-un sentiment d’utilité (agir pour une juste cause)

-un renforcement des liens sociaux

3.3 La structure des opportunités politiques

Le contexte politique a un impact sur la probabilité de réussite de la mobilisation:

Si les individus perçoivent des éléments dans le contexte politique qui augmente les chances de réussite de la mobilisation c’est une incitation à se mobiliser.

S’il y a des éléments mobilisateurs dans l’espace public (évènements dans l’actualité)

S’il y a un refus complet de négocier par les pouvoirs publics 

S’il y a des alliés potentiels dans les forces politiques présentes (partis politiques, syndicats,…)

S’il y a un contexte international favorable

Au contraire si des éléments du contexte politique sont perçus comme des obstacles à la réussite alors cela risque de décourager les individus à se mobiliser

4. L’engagement politique dépend de variables socio-démographiques

4.1 La PCS et le niveau de diplôme sont des déterminants de l’engagement politique

Plus on est diplômé, plus on s’engage politiquement : 

Moins on s’abstient et plus on s’intéresse à la politique

les CPIS sont plus fréquemment adhérents à une association relevant de l’action sanitaire et sociale ou humanitaire et caritative, à une association de défense de droits et d’intérêts communs ou à un syndicat que toutes les autres catégories socioprofessionnelles, et, en particulier, que les employés et ouvriers. 

La Pcs, croisée avec le niveau de diplôme est un déterminant important du vote : Plus on est diplômé, moins on vote pour les extrêmes et, plus le vote a été orienté vers E.Macron aux dernières élections présidentielles

Ce constat peut s’expliquer en termes d’inégale distribution dans l’espace social de la « compétence politique ». La PCS et le niveau de diplôme est aussi corrélée au niveau de revenus et de patrimoine ; il est rationnel pour un électeur de voter pour ceux qui défendent leurs intérêts. 

-La socialisation familiale est le principal déterminant du vote. Souvent forgée dès l'enfance au sein du milieu familial.

Cependant on observe un déclin de la spécificité du vote ouvrier lié à l’hétérogénéisation de cette PCS

4.2 L’engagement politique est influencé par l’âge et la génération des individus

L’adhésion des jeunes à une association politique ou à un syndicat est moins fréquente que chez leurs aînés. Mais ce sont surtout les formes d’engagement politique des jeunes qui changent : ils ont plus souvent recours à une forme d’action protestataire

->En ce qui concerne le vote, plus l’âge s’élève, et plus l’on a tendance à voter à droite (à partir de 40-45 ans). Mais ce phénomène ne signifie pas que l’âge est déterminant pour l’orientation du vote. En fait, il faut distinguer l’effet d’âge et l’effet de génération :

Un effet d’âge établit un lien de causalité entre l'âge biologique moyen de la sous-population étudiée et la variable considérée toutes choses étant égales par ailleurs, ce qui signifie que le seul fait d'avoir un certain âge détermine au moins en partie le vote telle que constaté pour cet âge. Or, le vote à droite pour les personnes âgées tient moins à un effet d’âge qu’à « un effet patrimoine ». 

Un effet de génération établit un lien de causalité entre la génération de laquelle ressort la sous-population étudiée et la variable considérée toutes choses étant égales par ailleurs, ce qui signifie que le seul fait d'appartenir à une certaine génération détermine au moins en partie le vote parce que cette génération a une histoire commune (la génération de mai 68, par exemple). Il peut se produire « un effet de génération » lorsqu’une classe d’âge est marquée par des événements fondateurs

Vote aux élections présidentielles 2022 par classe d’âge

4.3 Le genre est un déterminant de l’engagement politique

Si l’on se focalise sur les associations les plus directement liées à un engagement de type politique, on peut constater que, si les femmes sont plus fréquemment que les hommes adhérentes d’une association relevant de l’action sanitaire et sociale ou humanitaire et caritative ou de la défense de droits et d’intérêts communs, elles appartiennent moins souvent que ces derniers à un syndicat ou à un parti politique. 

Cela s’explique par la socialisation différenciée hommes/femmes, qui fait que les femmes disposent de moins de temps libre pour s’engager politiquement

-> Le sexe ou le genre a une faible influence sur le vote si ce n’est que les femmes ont une réticence persistante à voter pour les partis extrémistes. Le vote RN, en particulier, est le plus masculin de tous. Cependant, elles ont longtemps été plus conservatrices que les hommes lorsqu’une majorité des femmes étaient inactives. Dans Des femmes en politiques (1988), Mariette Sineau montre que le lissage des comportements électoraux entre les hommes et les femmes est dû à leur insertion dans la vie professionnelle 

Conclusion

De manière générale, on observe en France que les hommes, les personnes âgées de 25 ans et plus, les titulaires d’un niveau de diplôme élevé, les membres des catégories moyennes et supérieures sont plus disposés à s’engager politiquement que, respectivement, les femmes, les jeunes, les individus peu diplômés et les membres des catégories populaires.